IBM et la chancelière allemande Angela Merkel ont dévoilé l'un des ordinateurs quantiques les plus puissants d'Europe mardi, lors d'un événement organisé à son siège allemand. L’entreprise a déclaré que le Q System One était « l'ordinateur quantique le plus puissant d'Europe dans le contexte industriel ». L'ordinateur quantique sera installé à Ehningen et sera exploité par l'institut de recherche allemand Fraunhofer. Il fonctionne depuis février, mais son lancement a été reporté en raison de la pandémie. Les entreprises espèrent exploiter la puissance de l’ordinateur pour développer de nouveaux matériaux, des médicaments ou l'IA. Il s'agit du premier ordinateur quantique d’IBM utilisé en dehors des États-Unis, et IBM est prêt à accompagner la France de la même manière que l’Allemagne.
Les ordinateurs modernes ordinaires traitent les fonctions de manière binaire, en effectuant des tâches qui utilisent des fragments de données qui ne sont jamais que des 1 ou des 0. Les ordinateurs quantiques utilisent des particules subatomiques pour effectuer des calculs à des vitesses bien supérieures à celles des superordinateurs existants, et les données peuvent être des 1 et des 0 en même temps. Les fragments de données d'un ordinateur quantique, appelés qubits (abréviation de bits quantiques), augmentent considérablement sa puissance de calcul. La nouvelle machine est logée dans un cube de verre de 2,7 mètres de haut pour protéger les qubits du bruit et d'autres perturbations physiques, auxquelles ils peuvent être sensibles.
Quantum System One est d’une puissance de 27 qbit. Il est mis sous la tutelle du prestigieux institut Fraunhofer, locomotive technologique allemande. Moins puissant que le système Hummingbird dévoilé en 2020 (65 qbit), il s’agit du système Falcon lancé en 2019. « Mais le programme conjoint d’IBM et de l’Institut Fraunhofer prévoit une mise à jour régulière de la puissance », a précisé Olivier Hess, responsable des activités quantiques pour IBM France. Des mises à jour qui ne se feront pas comme dans votre ordinateur. « La complexité grandissante et les évolutions rapides des systèmes quantiques font qu’il faudra changer l’essentiel de la machine à chaque fois », a expliqué Hess.
L’Institut Fraunhofer sera le maître du System One, et la machine permettra aux académiques et industriels allemands de développer les éléments nécessaires à l’utilisation des futures machines. « Pour l’heure, un système de 27 qbit n’est pas plus puissant qu’une machine traditionnelle fonctionnant avec des processeurs classiques », a expliqué Hess. « Mais les machines du futur le seront : on parle ici d’une magnitude énorme de l’ordre d’un million à dix millions de fois plus puissantes. Mais pour en tirer parti, il faut encore développer des algorithmes, des logiciels, du matériel », a-t-il précisé.
La machine sera mise à la disposition du « monde de la recherche bien sûr, mais aussi des startups et de grands groupes. Certains projets européens pourront demander un accès au Fraunhofer Institut, mais cela restera l’exception ».
S'exprimant par liaison vidéo lors du lancement officiel, la chancelière allemande Angela Merkel a déclaré que l'informatique quantique jouerait un rôle clé dans les efforts déployés par le pays pour conserver sa « souveraineté technologique et numérique » tout en constituant un moteur de croissance économique. « Bien sûr, nous ne sommes pas les seuls au monde à avoir de telles idées », a-t-elle déclaré. « Les États-Unis et la Chine, notamment, investissent des sommes considérables ».
Le partenariat entre Fraunhofer et IBM a été signé l'année dernière, marquant le début de l'expansion mondiale du matériel quantique de Big Blue. La société a lancé le Quantum System One en 2019, le présentant comme le premier ordinateur quantique commercial au monde ; mais jusqu'à présent, les utilisateurs n'ont eu accès à l'appareil que par le biais du Cloud, en se connectant au Quantum Computation Center d'IBM situé à Poughkeepsie, dans l'État de New York.
Différentes applications pour résoudre des problèmes concrets et complexes
Depuis l'annonce de ce partenariat, l'institut Fraunhofer s'est employé à étudier les applications potentielles de l'informatique quantique et à concevoir des algorithmes quantiques qui pourraient présenter un avantage par rapport aux calculs effectués avec l'informatique classique. En effet, l'informatique quantique n'en est qu'à ses débuts et, malgré l'énorme potentiel que les chercheurs anticipent, une grande partie des promesses de cette technologie reste théorique. Les processeurs quantiques existants, comme le Falcon d'IBM, comportent trop peu de qubits, et l'effort de recherche consiste donc à repérer les cas d'utilisation qui pourraient convenir à la technologie lorsque le matériel sera prêt.
« Les utilisateurs doivent s'y mettre dès maintenant, ils doivent comprendre ce que sont les ordinateurs quantiques, à quoi ils servent et quelles sont les approches viables utilisant les ordinateurs quantiques, qui leur procureront un avantage par rapport à l'informatique classique », a expliqué Bob Sutor, chef de la section quantique d'IBM.
À Fraunhofer, les chercheurs se sont penchés sur une variété d'applications, allant de l'optimisation de portefeuilles financiers à la planification logistique pour les fabricants, en passant par les protocoles de correction d'erreurs, qui pourraient améliorer les infrastructures critiques et la simulation moléculaire pour faire progresser la chimie et la découverte de matériaux. Avec le Centre aérospatial allemand, l'institut a mené des recherches pour déterminer si les algorithmes quantiques pouvaient aider à concevoir des batteries et des piles à combustible plus performantes et plus denses en énergie.
Interrogé sur les usages que l’industrie allemande peut faire de ce genre de machine, Hess a réa pondu avec un exemple très concret. « Nous travaillons déjà avec Daimler-Benz. Le constructeur automobile allemand utilise déjà le quantique dans la recherche autour des batteries. Pour améliorer leur capacité et leurs performances, il faut trouver de nouveaux substrats, de nouveaux matériaux qui stockent mieux l’énergie. Daimler-Benz utilise la puissance de nos systèmes quantiques pour chercher de nouvelles combinaisons de molécules, de nouveaux matériaux de stockage ».
Pour Annkatrin Sommer, coordinatrice de recherche à Fraunhofer, le choix d'IBM comme partenaire quantique était une évidence. « Nous voulions vraiment opter pour une technologie de pointe où il y a la possibilité de commencer à développer des algorithmes aussi vite que possible », a-t-elle expliqué dans une déclaration.
L'offre d'IBM en matière d'informatique quantique présente des atouts importants. Depuis la sortie de son premier processeur quantique basé sur le Cloud, l'entreprise a mis à disposition plus de 20 machines Quantum System One, auxquelles ont accès plus de 145 organisations dans le monde. IBM table sur plus de 1 000 qbit dès 2023. À partir de là, les calculs plus importants pourront être lancés à une vitesse impossible à atteindre avec les ordinateurs classiques. Cette puissance, applicable uniquement à certains types de problèmes, pourrait accélérer de plusieurs années la recherche dans de nombreux domaines. Ce qui rend l’ordinateur quantique hautement stratégique.
La chancelière allemande Angela Merkel, titulaire d'un doctorat en chimie quantique obtenu lorsqu'elle était scientifique dans l'ancienne Allemagne de l'Est, a qualifié l'ordinateur de « miracle de la technologie ». Lors de son intervention par liaison vidéo, Mme Merkel a déclaré que la machine pourrait jouer « un rôle clé dans nos efforts pour la souveraineté technologique et numérique, et bien sûr pour la croissance économique ». Elle admet toutefois que « Le reste du monde ne dort pas dans ce domaine ».
L’Allemagne et la France dans la course pour la souveraineté technologique et numérique
Il est clair que le tout nouveau Quantum System One de l'Allemagne place le pays dans une position favorable pour concourir dans ce qui s'annonce de plus en plus comme une course mondiale à la tête de l'informatique quantique. Le gouvernement allemand a déjà lancé un programme de financement de 2 milliards d'euros (2,4 milliards de dollars) pour la promotion des technologies quantiques dans le pays, qui vient s'ajouter au 650 millions d’euros de fonds publics alloués en 2018.
En matière d’investissements en Europe, la France est juste derrière l’Allemagne avec un engagement de 1,8 milliard d'euros annoncé par le président Macron en janvier dernier. La France n’entend pas rester en marge de la révolution quantique. En 2019, elle a lancé une mission visant à définir une politique nationale sur la question. L’année dernière, la députée LREM Paula Forteza, qui a été chargée de la mission, a présenté son rapport sur la stratégie française concernant l’informatique quantique. La France considère la quantique comme la prochaine rupture technologique majeure.
Pendant ce temps, aux États-Unis, un budget de 1,2 milliard de dollars a été alloué à la loi sur l'initiative quantique nationale en 2018. Le pays mène la danse avec IBM d’une part, mais aussi des titans comme Google ou Amazon. Et la Chine, pour sa part, n'a pas caché son ambition de devenir une superpuissance quantique de premier plan.
« Si le quantique était au même niveau de maturité que l’informatique classique, je devrais admettre que cela serait très compliqué pour la France de rattraper le retard », a expliqué Hess. « Mais ce n’est pas le cas : si nous travaillons depuis des années sur le sujet, il n’en reste pas moins que nous sommes au début de l’histoire ». Et la France a de beaux atouts pour ce haut cadre d’IBM. « Entre les institutionnels de type CNRS, CEA-Leti, les entreprises de type Thalès ou Athos, le monde académique avec le plateau de Saclay ou encore l’écosystème de startup avec Pasqal ou Alice & Bob, la position de la France est très avancée en Europe », a-t-il dit.
Il n’empêche que face à cet état des lieux, a priori flatteur, c’est tout de même l’Allemagne qui part devant avec la première acquisition privée de l’histoire d’un ordinateur quantique. « Rassurez-vous, la France est très active et nous discutons en ce moment même avec les institutionnels. IBM est prêt à accompagner la France de la même manière que l’Allemagne », a indiqué Hess. De tels atouts théoriques ainsi que des entreprises ajoutées à un plan quantique de 1,8 milliard d’euros, et avec l’accompagnement des entreprises comme IBM, on peut dire que la France est bien partie pour son indépendance technologique et numérique.
Le Q System One de l’Allemagne, financé par les contribuables allemands, coûtera environ 40 millions d'euros au cours des quatre prochaines années. En plus d'investir dans les qubits supraconducteurs d'IBM, Fraunhofer étudie également l'utilisation de différentes approches, le secteur étant en pleine expansion.
« À l'heure actuelle, on ne sait pas exactement quelle technologie sera la meilleure », a expliqué Annkatrin Sommer dans une déclaration, « et nous aurons probablement différentes technologies fonctionnant en parallèle pour différents cas d'utilisation. Il est logique de lancer des projets avec différentes approches et, après un certain temps, de mesurer le chemin parcouru et d'évaluer si l'on a atteint ses objectifs. Ensuite, il faut décider avec quelle technologie on va continuer ».
L’Europe prend également des initiatives dans le domaine quantique. La Commission européenne souhaite que l'Union européenne développe son premier ordinateur quantique avant la fin de la décennie. Une feuille de route pour les dix prochaines années, qui fixe des objectifs de transformation numérique dans de nombreux domaines afin de réaffirmer la pertinence de l'Union dans un certain nombre de technologies, a été présentée en mars. L'intérêt de l'UE pour les technologies quantiques ne date pas d’aujourd’hui. La Commission a lancé en 2018 un programme phare quantique sur 10 ans qui, avec un budget d'un milliard d'euros (1,20 milliard de dollars), a été décrit comme l'une des initiatives de recherche les plus ambitieuses de l’Union.
Source : Communiqué de presse
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Le pays est-il parti pour faire la course en tête en Europe dans le domaine quantique ?
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Le , par Stan Adkens
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